Episode 2 : La Promesse Bancale
"Maintenant, il va falloir survivre. Notre cash n’est pas infini, les travaux n’ont pas commencé, et je n’ai toujours pas reçu notre prêt bancaire."
C’est sur ces mots que je terminais mon dernier épisode. La suite allait me donner raison, d’une façon que je n’aurais jamais imaginée.
Le Début de la Tempête
Nous avions tout anticipé. Ou du moins, nous le croyions.
Quand nous avons signé le bail du 3 rue de Richelieu, j’étais persuadé que le financement était verrouillé. Business plan solide, chiffres cohérents, stratégie claire. Sur le papier, tout tenait parfaitement : 33% d’equity (les fonds que mes investisseurs avaient injectés), 67% de dette bancaire. Une structure de financement classique, validée par la banque elle-même.
Dès nos premières réunions, ils étaient emballés. Notre dossier les avait convaincus.
"Votre dossier doit passer en comité, mais c’est une simple formalité. Deux semaines maximum, et c’est bouclé."
Ces mots résonnent encore dans ma tête. Une simple formalité.
Deux semaines passent. Puis trois. Puis quatre. Puis cinq.
Le Silence Assourdissant
Je relance. Une fois, deux fois, dix fois. D’abord, des réponses évasives :
"C’est en cours de traitement."
"Le comité n’a pas encore statué."
Puis, plus rien. Silence radio. Ma banquière ne répond plus.
Je rafraîchis ma boîte mail toutes les heures. Rien. J’alterne entre espoir et frustration. Peut-être que demain, peut-être que la semaine prochaine… Mais plus le temps passe, plus une évidence s’impose : je suis en train de me faire balader.
Le Piège du Financement Bancaire
Ce qui rend le financement bancaire si compliqué, c’est son cercle vicieux.
Les banques exigent un bail signé avant de débloquer un prêt. Mais les bailleurs, eux, refusent d’inclure une clause suspensive en cas de refus bancaire. Ils ne veulent pas bloquer leur local pendant des mois pour un projet qui pourrait capoter.
En soit, c’est assez logique car les banques ne peuvent pas engager des frais d’étude pour des dossiers qui potentiellement n’iront pas au bout.
Résultat ? Soit tu signes sans garantie de financement, soit tu ne démarres jamais.
J’ai signé. Comme tant d’entrepreneurs avant moi. Mais maintenant, le temps jouait contre moi.
Le Sable Qui S’Écoule
Avril 2019, je signe le bail.
Septembre 2019, ouverture prévue.
Six mois pour boucler les travaux et lancer Punch.
Dès le premier jour, nous engageons les travaux. Sans prêt bancaire. Mais après tout, la banque m’avait dit : "C’est une formalité." Je l’avais cru.
Je commence donc à payer les ouvriers pour démarrer les travaux avec le cash levé, sans aucune certitude que le chantier ira à son terme. Chaque euro dépensé est un pas de plus vers l’inconnu.
J’avais négocié 4 mois de franchise de loyer (Une franchise de loyer est une période pendant laquelle le locataire ne paie pas de loyer, généralement accordée par le propriétaire au début du bail. Elle permet de compenser des coûts initiaux comme des travaux, l’installation du business ou le démarrage de l’activité) – le minimum vital pour absorber les travaux. Mauvais calcul. J’aurais dû en exiger 6.
Je fais les comptes :
Dépôt de garantie : 3 mois de loyer
Caution bancaire : 6 mois de loyer
Commission d’agent : 3 mois de loyer
3 mois de loyer d’avance
Avant même d’avoir tourné la clé dans la serrure, nous avions bloqué l’équivalent de 15 mois de loyer.
Et toujours pas de prêt bancaire.
Le Couperet Tombe
Après des semaines d’attente insoutenable, le verdict tombe.
"Désolé, nous ne pouvons pas vous suivre sur ce projet."
Silence.
Comme si ce simple mot pouvait balayer des mois de préparation, des dizaines de réunions, un rêve entier.
J’ai raccroché. Je ne me démonte pas, je demande immédiatement un rendez-vous pour tirer au clair ce qu’il se passait.
J’obtiens un rendez-vous avec la banquiere. Face à face, dans son bureau , je ne tourne pas autour du pot :
"Pourquoi vous refusez alors que vous étiez convaincus il y a deux mois ?"
Elle me regarde, mal à l’aise. Puis lâche enfin la bombe :
"Vous êtes trop jeune."
J’ai explosé de rire.
"Le premier document que vous m’avez demandé, c’était mon passeport. Une simple soustraction et vous auriez gagné du temps."
Mais ce n’était qu’un prétexte.
"Votre business ne rentre pas dans nos fiches métier."
L’Absurdistan Bancaire
Les banques fonctionnent avec des cases.
Pour une salle de sport, leurs critères sont gravés dans le marbre :
Une surface minimale imposée
Un ratio travaux/coût précis
Un modèle économique basé sur les abonnements
Punch ne cochait aucune de ces cases.
❌ Trop petit. Un studio de 300m², alors qu’ils financent des surfaces bien plus grandes.
❌ Travaux trop chers au m². Ils ne comprenaient pas pourquoi le montant total était "faible", mais le coût par m² si élevé. Je leur expliquais que moins de surface ne veut pas dire moins d’équipements. Silence.
❌ Aucun abonnement.
"Un business sans abonnements ne peut pas fonctionner."
J’ai essayé de leur expliquer que les restaurants, les bars, les coiffeurs vivaient sans abonnements.
Rien à faire. Prisonnière de ses tableaux Excel, elle n’arrivait pas à voir plus loin que ses fiches métier.
La Course Contre la Montre
En sortant de la banque, une seule chose m’a traversé l’esprit : il fallait trouver une solution. Vite.
La situation était critique :
Un bail signé.
Des travaux engagés.
Des prestataires qui attendaient d’être payés.
Un loyer qui allait bientôt courir.
Chaque mois de retard représentait un manque à gagner considérable.
Pas de prêt bancaire. Pas de filet de sécurité. Juste une horloge qui tournait. Mais je n’avais aucune raison de me décourager - déjà je n’avais pas le temps d’y réfléchir et surtout j’avais foi en nous.
J’ai sorti mon cahier et fait deux listes :
Tous les contacts susceptibles de me présenter un banquier.
Toutes les banques de Paris.
Dès lors, trouver un financement est devenu une obsession. Chaque jour, de nouveaux rendez-vous. De nouveaux banquiers qui écoutaient poliment avant de laisser notre dossier sombrer dans l’oubli.
À force d’essuyer des refus, j’ai compris le problème fondamental : notre ratio dette/fonds propres était trop ambitieux. Avec 33% de fonds propres et 67% de dette, je demandais aux banques de prendre un risque qu’aucune ne voulait assumer pour une entreprise naissante.
Mais le plus dur, ce n’était pas juste ces refus. C’était qu’en parallèle, tout le reste devait continuer d’avancer.
Avancer dans le Brouillard
Je n’avais plus le luxe d’attendre que tout se débloque. Il fallait avancer, coûte que coûte.
Avec Chloé et Justine, notre future Head Coach, on s’apprêtait à partir à New York pour construire l’expérience Punch.
Le timing était absurde :
Pas de prêt bancaire.
Des factures qui commençaient à tomber.
Un départ à l’autre bout du monde pour concevoir un concept qui, à ce rythme, risquait de ne jamais voir le jour.
Mais c’était ça, l’entrepreneuriat : avancer même quand tout semble s’effondrer.
Pourquoi New York ? Qu’est-ce qu’on y cherchait exactement ? Comment construire une expérience client unique alors qu’on n’était même pas sûrs d’ouvrir ? Je reviendrai sur tout ça dans les prochains épisodes.
Le Coup de Poker du Financement
À ce stade, la situation était claire : aucune banque ne me suivrait tant que je n’augmentais pas mes fonds propres ( définition : les fonds propres, c'est l'argent que toi (ou tes investisseurs) mets dans ton entreprise pour la faire tourner, sans avoir besoin de le rembourser à quelqu'un).
C’était un problème structurel : mon entreprise était en création, il n’y avait aucun collatéral (définition : Un collatéral, c’est un bien que tu mets en garantie pour obtenir un prêt. Si tu ne rembourses pas, la banque peut le saisir et le revendre pour récupérer son argent) pour les rassurer.
Dans un restaurant, par exemple, la banque peut nantir le fonds de commerce, s’appuyer sur un historique de chiffre d’affaires, revendre si nécessaire. Dans mon cas, il n’y avait rien. Juste une idée et un local en travaux.
Et pourtant, au départ, ce ratio 33% equity (equity veut grosso modo dire fonds propres mais en anglais) / 67% dette, c’est ma banquière qui me l’avait conseillé.
Mais après plusieurs refus, un courtier en crédit m’a expliqué la réalité : aucune banque ne prendrait ce risque sans un apport plus conséquent.
Le ratio dette/equity (ou ratio d'endettement) compare l'argent emprunté (dette) à l'argent investi par les propriétaires ou actionnaires (equity/fonds propres).
Pourquoi c’est important?
Si le ratio est élevé → Ton entreprise est très dépendante des banques, donc plus risquée.
Si le ratio est bas → L’entreprise est plus solide, car elle repose plus sur son propre argent.
👉 Les banques aiment les ratios faibles, car ça veut dire que l'entreprise a une bonne base financière et peut mieux gérer les crises.
La Levée de Fonds en Urgence
Il fallait lever des fonds. Et vite.
J’ai contacté tous les gens que je connaissais susceptibles d’investir. Des proches, des amis, des anciens collègues, des investisseurs potentiels.
Le timing était terrible : en plein été, tout était plus lent. Trois mois pour boucler la levée, alors que chaque semaine qui passait mettait encore plus de pression sur notre trésorerie.
Certains voulaient négocier dur. Plus de parts de ma société, des conditions plus strictes. Mais je ne pouvais pas me permettre d’être en position de faiblesse. Je devais tenir bon, défendre la valeur du projet et ne rien concéder.
Finalement, en septembre, la levée est bouclée. Première victoire. Je peux commencer à faire redescendre la pression en payant les fournisseurs. Il me fallait maintenant finaliser le prêt bancaire. Encore un petit effort, on voyait la lumière au bout du tunnel.
Un Banquier, un Local, une Opportunité
Paris était saturé de demandes de financement. Les banques croulaient sous les dossiers et choisissaient les plus "sûrs".
C’est un courtier qui m’a soufflé l’idée : "Si tu veux un prêt, sors de Paris."
Direction Saint-Quentin-en-Yvelines.
Là-bas, la banque avait une approche complètement différente. Pour eux, j’étais un projet sexy. Mais surtout, ils étaient ouverts, curieux et enthousiastes.
Dès notre premier échange, j’ai senti que ce n’était pas juste une case à cocher pour eux. Ils posaient des questions pertinentes, voulaient comprendre notre modèle, notre vision. Il y avait un vrai dialogue.
J’ai joué le tout pour le tout. Je les ai invités à visiter le local.
Sur place, je leur ai montré les plans 3D, l’aménagement futur, l’ambiance que je voulais créer.
Et contrairement aux autres banquiers, eux se projetaient. Ils ne voyaient pas seulement des chiffres dans un Excel, mais un concept, une marque en devenir.
On a parlé business, mais aussi sport, communauté, expérience client. L’échange était fluide, agréable. Pour la première fois, j’avais l’impression d’avoir des partenaires, pas juste des décideurs derrière un bureau.
Et ça a fait la différence.
➡️ Le prêt a été accordé.
Le Dernier Engagement : La Caution Personnelle
Une condition restait sur la table : ma caution personnelle.
La banque demandait que je m’engage à titre personnel à rembourser le crédit. C’est à dire que si la société ne pouvait pas rembourser, c’est moi, Jules, qui devrais le rembourser.
Pour certains entrepreneurs, c’est un frein énorme. Pour moi, c’était un non-sujet - ca faisait partie de l’aventure. J’ai donc accepté sans hésité.
J’avais zéro doute sur la réussite de Punch. C’était juste une étape de plus dans le parcours.
La Libération
J’étais assis dans l’appartement qui nous servait de bureau, les yeux rivés sur l’écran de mon ordinateur.
J’avais rafraîchi la page une dizaine de fois depuis le matin, comme si ça pouvait accélérer le processus.
Puis, les chiffres ont changé.
L’argent était arrivé.
Je me suis laissé tomber contre le dossier de ma chaise, expirant un souffle.
J’ai levé les yeux de mon écran. J’ai pris mon téléphone et j’ai appelé Chloé et Tristan actionnaire et futur Directeur des Opérations
"C’est bon. L’argent est là. On peut avancer."
Ce soir-là, pour la première fois depuis des mois, j’ai dormi sans regarder mon téléphone toutes les heures.
Passer à l’Action : Chaque Minute Comptait
Le lendemain, j’ai ouvert mon fichier excel avec la liste de tous les fournisseurs. Chaque ligne représentant une dette à honorer, un retard à rattraper.
Premier transfert : les ouvriers & les architectes.
Ils avaient déjà menacé de quitter le chantier. S’ils partaient, on perdait encore plus de temps. Il fallait donc les régler en priorité.
Deuxième transfert : les fournisseurs de matériel.
Sans eux, pas de sol, pas d’équipement, pas de studio. Tant que le virement n’était pas chez eux, ils ne pouvaient pas livrer.
À mesure que je validais les paiements, je sentais la tension se relâcher.
Retour sur le Chantier
Le lendemain, je suis arrivé sur le chantier et ai vu les ouvriers au travail, la dynamique relancée, l’énergie du redémarrage.
En septembre, on avait reçu un ultimatum.
Les retards s’étaient accumulés. Les délais étaient intenables.
Et maintenant que les paiements avaient été faits, tout s’emballait !
Des équipes qui se chevauchaient. Un artisan qui voulait avancer alors qu’un autre bloquait son accès.
Des commandes de matériel qui arrivaient sans que l’espace ne soit prêt à les accueillir.
Ça débordait dans tous les sens. Mais, ça avançait. Et c’était ça le plus important.
Bien sûr que ça n’était pas fini.
Il fallait maintenant terminer ce chantier.
Dans les délais.
Sans plus aucune marge d’erreur.
Dans le prochain épisode : "Démolir pour Construire" – Comment transformer un local en ruine en un studio de sport immersif. Des blocages administratifs aux voisins hostiles, en passant par les surprises cachées derrière les murs, découvrez les coulisses du chantier du 1er Punch.
1. Un engagement bancaire n’a de valeur que si l’argent est sur ton compte. Avant ça, rien n’est acquis.
Ce que ça veut dire :
Les banques donnent souvent un "accord de principe" ou un "avis favorable" avant de passer en comité de crédit. Mais tant que l’argent n’a pas été viré, il ne faut rien considérer comme acquis.
Le comité de crédit peut avoir un avis radicalement différent du banquier.
Un détail administratif peut retarder le versement de plusieurs semaines.
Un changement de politique interne peut faire basculer un accord en refus.
2. Les banques préfèrent la sécurité à l’innovation. Un business classique avec des garanties vaut mieux qu’un projet disruptif sans collatéral.
Ce que ça veut dire :
Les banques ne financent pas des idées, elles financent des actifs tangibles qu’elles peuvent récupérer en cas de problème.
Un restaurant qui reprend un fonds de commerce existant a plus de chances d’être financé qu’un concept innovant, car il y a déjà un historique de chiffre d’affaires et un actif revendable en cas de problème.
Un projet avec un bien immobilier en garantie passera toujours plus facilement qu’un business basé sur de l’expérience client ou du digital.
3. Les factures tombent toujours avant l’argent. Les retards de paiement de tes clients ou partenaires ne concernent pas tes fournisseurs.
Ce que ça veut dire :
a. Un fournisseur s’attend à être payé dans les délais qu’il t’a donnés, peu importe si ton prêt ou tes investisseurs sont en retard.
b. Il faut donc savoir jongler entre les différents fournisseurs et anticiper les rentrées / sorties de cash.
c. Avant de signer un contrat/devis, c’est important de toujours demander un maximum de délai pour payer le fournisseur/prestataire. Ca te laisse le temps de trouver une solution en cas de problème.
4. Qu’est ce que le ratio dette/equity ? Et pourquoi c’est important ?
Le ratio dette/equity (ou ratio d'endettement) compare l'argent emprunté (dette) à l'argent investi par les propriétaires ou actionnaires (equity/fonds propres).
Pourquoi c’est important?
Si le ratio est élevé → Ton entreprise est très dépendante des banques, donc plus risquée.
Si le ratio est bas → L’entreprise est plus solide, car elle repose plus sur son propre argent.
En conclusion :
Les banques aiment les ratios faibles, car ça veut dire que l'entreprise a une bonne base financière et peut mieux gérer les crises.
Merci de partager l’expérience Punch. Actuellement en création d’un studio à Toulouse, c’est à la fois rassurant et enrichissant de pouvoir connaitre l’envers du décor. Quand on crée quelque chose et que l’on décide de passer de salarié à entrepreneur tout le monde est là pour vous dire que vous êtes fou. En revanche, quand il s’agit de vous guidez et de donner des conseils, il n’y a plus personne.
Encore merci, pour Punch (pratiquante de la première heure) et pour votre partage très inspirant !
🚴♂️🚴♀️🌎 Merci pour cette transparence et les incroyables perspectives que cette histoire contient. Tout mon respect pour ce qui a été magnifiquement construit.
Je l’apprécie énormément.
Ivan de Global Flow Cycling / Ride the World