"Ça débordait dans tous les sens. Mais, ça avançait. Et c'était ça le plus important. L'essentiel, c'est le mouvement vers l'avant."
C'est ainsi que se terminait notre dernière conversation. À ce moment-là, nous étions portés par cette énergie entrepreneuriale qui fait croire que le plus dur est derrière nous dès que les travaux commencent. Une illusion utile, mais une illusion quand même.
Les projets de construction suivent une règle incontournable : on ne peut jamais optimiser simultanément le temps, le budget et la qualité. Il faut toujours sacrifier l’un pour préserver les deux autres.
L'architecte : la première pièce du puzzle
Nous avons rencontré plusieurs architectes pour réaliser notre premier studio Punch. Certains avaient l'œil pour le design mais semblaient ignorer les contraintes techniques. D'autres maîtrisaient les aspects structurels mais ne comprenaient pas ce que nous voulions créer.
Un studio de fitness n'est pas un simple local commercial. C'est un lieu où chaque détail technique influence directement l'expérience. Une ventilation qui faiblit après vingt minutes d'effort, c'est des clients qui ne reviendront pas. Une isolation acoustique insuffisante, c'est une guerre permanente avec les voisins.
On a fini par rencontrer DAS studio. Nous étions tombés sur eux en cherchant des inspirations sur Pinterest, ils avaient publié les photos d’un studio dynamo qu’ils avaient réalisé. Leurs espaces étaient fonctionnels, immersifs, et centrés sur l'expérience client. Ils avaient déjà résolu les problèmes auxquels nous allions faire face. A l’époque ces aspects techniques nous faisaient peur - il nous fallait quelqu’un qui maîtrise cet aspect.
D’autant plus que lorsqu’on leur a fait visiter le local au 3 rue de Richelieu, c’étaient les seuls à avoir des solutions techniques fonctionnelles pour pouvoir exploiter le local. Donc on s’est tapés dans la main et avons avancé.
Créer une véritable expérience.
Avec Chloé, nous avions naturellement divisé les responsabilités :
Je pilotais la partie technique – tout ce qui concernait la structure, l'acoustique, la ventilation, etc.
Elle dirigeait l'expérience client et le design du lieu, apportant son œil aiguisé développé durant ses 5 années chez L'Oréal.
Pour créer cette marque, nous avons fait appel à une designer américaine qui avait travaillé sur des concepts similaires aux États-Unis. Ce qui nous attirait chez elle, c'était son originalité.
Nous ne voulions pas quelque chose de lisse et consensuel.
Le brief était simple : "Peu importe si 90% des gens détestent. Nous voulons que 10% adorent. Les 90% suivants s'habitueront."
Dès le départ, nous savions que Punch ne pouvait pas être juste un studio de boxe. Si on voulait que les gens viennent, reviennent et en parlent, il fallait plus qu’un bon entraînement, plus qu’un beau local, plus qu’une bonne ambiance. Il fallait une marque. Chloé était obsédée à l’idée de créer “une love brand”.
Et pas seulement une identité visuelle ou un logo accrocheur. Une marque forte, pensée à 360°, qui vivrait à travers le lieu, les réseaux sociaux, la presse, le bouche-à-oreille. Une marque qui s’incarne dans un espace physique, mais qui dépasse largement ses murs.
C’est ce qui différencie un simple commerce d’une destination. Une salle de sport d’un mouvement. Un lieu que les gens fréquentent d’un lieu qu’ils revendiquent.
Notre mission était claire:Nous voulions créer un lieu où l’on se sent bien dès qu’on pousse la porte.
L’inspiration venait des appartements haussmanniens : du parquet en bois massif, des moulures élégantes, une lumière chaude qui évoque un intérieur exposé plein sud. Un studio où l’on entre avec plaisir, pas avec appréhension. Où l’élégance vient compenser l’intensité de l’activité.
Les douches étaient un autre point clé. Les vestiaires des salles de sport nous ont toujours dégoûtés : exigus, mal éclairés, pensés comme des zones de passage sans âme. Nous voulions l’inverse : des douches spacieuses, habillées de petits carreaux de carrelage, où l’on aurait envie de rester quelques minutes de plus. Un endroit où la récupération était aussi importante que l’entraînement.
Mais au-delà du confort et de l’esthétique, c’est le contraste qui comptait le plus. Tout le studio devait être chaleureux, rassurant, lumineux. Et pourtant, la salle de pratique devait être son exact opposé.
Dès que l’on franchit la porte, tout change : lumière, ambiance, énergie. Un basculement instantané qui marque la transition entre le quotidien et l’intensité, entre la douceur du studio et la brutalité du training.
Le nom : simple et mémorable
Le choix du nom était crucial. Il devait incarner notre vision et fonctionner en français comme en anglais.
Nous avons envisagé "Switch", qui représentait ce changement d'état que nous voulions provoquer chez nos membres – le passage du quotidien à l'intensité. Il reflétait également le switch que nos clients font à plusieurs reprises pendant la séance lorsqu’ils passent du bootcamp à la boxe.
Plusieurs heures de brainstorming plus tard, "Punch" s'est imposé naturellement.
Court. International. Mémorable. Un mot qui évoque immédiatement l'action. Quand vous entendez "Punch", vous n'avez pas besoin d'explications. Vous visualisez le geste, vous ressentez l'énergie.
De plus, "Punch" avait cette dualité parfaite : l'intensité de l'entraînement et cette touche d'énergie que nous voulions apporter aux Parisiens.
Les signatures visuelles : attirer l'attention et créer des moments partageables
Deux éléments sont rapidement devenus les signatures visuelles de Punch : un néon puissant représentant le logo derrière le comptoir et une arche lumineuse à l'entrée.
Ces deux installations ne relevaient pas d'un simple choix esthétique. Elles servaient un objectif marketing précis.
👉 L'arche lumineuse marquait l'entrée du studio comme un portail entre le monde extérieur et l'univers Punch. Sa luminosité captait instantanément l'attention, transformant notre façade en point d'intérêt sur la rue.
🔸 La puissance lumineuse de ces éléments attirait naturellement les regards. Les passants s'arrêtaient, intrigués. Les automobilistes au feu rouge devant le studio tournaient la tête et pouvaient lire distinctement le néon "PUNCH" à travers la vitrine.
Dans un monde saturé de stimuli visuels, nous avions créé un signal impossible à ignorer.
Mais ces éléments remplissaient une seconde fonction tout aussi importante. À l'ère des réseaux sociaux, un commerce doit offrir des "moments instagrammables" - ces éléments distinctifs que les clients veulent capturer et partager.
Le néon PUNCH et l'arche lumineuse répondaient parfaitement à ce besoin. Chaque nouveau client faisait instinctivement le même geste : sortir son téléphone, prendre une photo sous l'arche ou devant le néon, puis la partager avec sa communauté.
Sans l'avoir explicitement planifié, nous avions créé un mécanisme de marketing organique. Nos clients devenaient nos ambassadeurs, diffusant l'image de Punch à travers leurs réseaux personnels.
Ce qu'on apprendrait plus tard
Tout semblait parfait. Le design était finalisé. L'identité prenait forme. Les plans avançaient.
Mais cette apparente réussite cachait une faille qui ne révélerait ses conséquences que bien plus tard. En effet, nos relations avec notre designer se sont tendues lorsque nous avons réalisé qu’elle n’avait pas signé certains papiers nécessaires pour notre développement. Les échanges étaient devenus plus difficiles, jusqu'à ce qu'elle finisse par ne plus répondre à nos messages.
Cette erreur est un classique des entrepreneurs débutants. On se concentre tellement sur le produit, sur l'expérience, sur les aspects tangibles, qu'on néglige les fondations administratives et juridiques qui semblent secondaires mais sont en réalité cruciales.
Face à cette réalité, un seul choix s'imposait : recréer entièrement notre identité visuelle. C'était un coup dur, qui impliquait de repenser tous nos éléments de marque, notre communication, nos visuels.
Cette leçon douloureuse nous a enseigné quelque chose d'essentiel : la bonne foi et les accords verbaux ne suffisent jamais, surtout quand les enjeux grandissent. Il faut tout formaliser.
Construire plus qu'un Studio : résoudre une équation complexe
Concevoir un studio de fitness, c'est résoudre une équation où chaque détail compte. Nous avons organisé notre espace en quatre zones essentielles :
L'accueil – Premier contact avec la marque, il devait créer une impression immédiate positive.
Les vestiaires – Souvent le point faible des salles de sport, nous en avons fait une priorité.
La salle de pratique – Le cœur du studio, immersive mais parfaitement isolée.
Les locaux techniques – Invisibles mais essentiels au fonctionnement quotidien.
Deux défis ont rapidement monopolisé notre attention : l'acoustique et la ventilation.
L'isolation acoustique : isoler sans étouffer
La boxe est bruyante. La musique, les impacts sur les sacs, les instructions des coachs – sans solution adaptée, le bruit allait devenir un problème majeur.
Notre réponse : construire une boîte dans la boîte.
Nous avons créé une structure indépendante à l'intérieur du bâtiment principal. Les murs, le plafond, le sol – tout était conçu pour absorber les vibrations plutôt que les transmettre. C'était plus coûteux et plus complexe, mais nécessaire pour être certains de ne jamais avoir de problèmes avec ses voisins.
La ventilation : l'élément vital souvent négligé
Une erreur courante dans les studios de fitness est de sous-estimer l'importance de la climatisation et de la ventilation.
Contrairement aux salles de sport traditionnelles où les clients arrivent tout au long de la journée, un studio comme Punch fonctionne par vagues :
99% des clients arrivent ensemble pour un cours donc il faut les accueillir en même temps à l’accueil mais aussi dans les vestiaires
99% transpirent intensément au même moment donc il faut calibrer les clims et ventilations en fonction
Ceux qui se douchent, se douchent au même moment après la séance.
La réalité du budget : les surprises inévitables
Nous avions préparé un budget qui semblait logique :
Analyser le coût moyen des travaux au m² pour une salle de sport classique. Faire un produit en croix pour extrapoler le budget nécessaire à Punch.
Sur le papier, c'était sensé. Dans la réalité, c'était une erreur.
Un studio de fitness obéit à des règles différentes d’une salle de sport classique.
La taille du local – Un espace plus petit ne signifie pas des coûts proportionnellement réduits. Une climatisation coûte presque autant pour 300 m2 que pour 600m2 car les exercices sont intenses donc il faut des machines tout aussi puissantes que dans une gym classique.
Le modèle d'utilisation – Les clients arrivent et repartent tous ensemble, créant des pics d'utilisation qui nécessitent des infrastructures surdimensionnées - par exemple dans les douches.
Les exigences spécifiques – Notre solution d'isolation "boîte dans la boîte" répondait parfaitement à nos besoins, mais représentait un investissement considérable non prévu.
Notre marge pour imprévus s'est évaporée plus vite que prévu.
Maîtriser le chaos : prendre des décisions quotidiennes
Un chantier est un jeu de dominos. Modifier un mur impacte la ventilation. Changer un revêtement modifie l'acoustique.
Chaque jour exigeait des décisions immédiates.
Nous étions sur place trois heures par jour, non pour surveiller les ouvriers, mais pour prendre ces décisions critiques. Si nous ne le faisions pas, quelqu'un d'autre le ferait à notre place, pas nécessairement selon notre vision.
L'important n'était pas d'éviter les obstacles, mais de trouver comment les surmonter.
L'onduleur de l'Enfer
Dans le chaos du chantier, une opportunité inattendue s'est présentée, pesant 500 kilos.
Les anciens locataires, une banque partie précipitamment, avaient laissé un onduleur flambant neuf dans le sous-sol. Pour ceux qui ne connaissent pas, un onduleur est une batterie géante qui alimente les infrastructures critiques en cas de coupure. Son prix ? Plusieurs milliers d'euros.
À ce stade, chaque euro comptait. L'idée était simple : vendre l'onduleur pour récupérer du cash. J'ai mis une annonce sur Le Bon Coin. Un acheteur s'est manifesté, voulant l'exporter au Cameroun.
Nous avons engagé quatre déménageurs pour charger l’onduleur dans le camion de l’acheteur. Problème : nous n’arrivions pas à le soulever tellement c’était lourd. À l'intérieur, des dizaines de batteries lourdes. J’ai dû les retirer une par une, charger l'onduleur vide dans le camion, puis commencer à rebrancher les batteries une par une.
C'est là que tout a basculé. Un déménageur a remonté une pièce à l'envers. Court-circuit. Étincelle. Odeur de brûlé. L'onduleur, qui devait nous donner un peu d'oxygène financier, était mort.
J'ai regardé la machine, puis le déménageur, aussi choqué que moi. J'ai expiré.Et on a éclaté de rire. Parfois, il n'y a rien d'autre à faire.
Le dernier sprint
Les semaines passaient. Le studio prenait forme. Les ouvriers avançaient. Mais pour eux, c'était juste un chantier parmi d'autres. Pour nous, c'était notre futur outil de travail.
Si nous ne regardions pas chaque finition, personne ne le ferait. Si un mur était mal peint, c'est nous qui le verrions tous les jours. Si un câble dépassait, c'est nous qui devrions l'expliquer aux clients.
Alors nous avons tout vérifié. Chaque prise, chaque revêtement, chaque spot. Nous avons posé mille questions, parfois au risque d'agacer les ouvriers. Mais le moindre détail négligé aujourd'hui serait un problème permanent demain.
L'ouverture se rapproche : la vision devient réalité
Un matin, arrivant sur le chantier, j'ai vu le studio prendre vie. Les murs étaient montés. Le sol était posé. Ce que nous avions imaginé devenait réel.
Après des mois de stress, de plans refaits dix fois, de budgets explosés, des nuits blanches, nous touchions au but. Presque. Il manquait encore l'équipe, les coachs qui donneraient une âme au studio.
Et c'est là que tout allait vraiment commencer.
Prochain épisode : recruter l'équipe qui fera de Punch bien plus qu'un simple studio.
💡 1. Avancer coûte que coûte, mais verrouiller l’essentiel.
Ce que ça veut dire :
L’entrepreneuriat impose d’être rapide et de ne pas se noyer dans la paperasse. Mais certaines erreurs ne se rattrapent pas.
- L’image de marque et la propriété intellectuelle sont des actifs stratégiques. Sans elles, impossible de scaler ou lever des fonds sereinement.
- Les accords verbaux ne suffisent jamais. Même avec les meilleurs prestataires, tout doit être signé et verrouillé.
- L’identité visuelle et le nom d’une marque doivent être sécurisés dès le départ. Sans ça, vous risquez de devoir tout refaire au pire moment.
🎯 2. Une marque forte est une marque distinctive.
Ce que ça veut dire :
Quand une marque réussit, tout le monde dit que c’était évident. Mais au départ, elle est toujours un pari risqué.
- Le but n’est pas de plaire à tout le monde, mais de créer une identité forte. Mieux vaut un concept polarisant qu’un projet fade.
- Une marque ne se limite pas à un logo. Elle doit exister à 360° : le lieu, l’expérience, le bouche-à-oreille, les réseaux sociaux.
- Ne cherchez pas la validation immédiate. Si votre marque est vraiment distinctive, 90% des gens hésiteront au début. C’est normal. Les 10% qui accrochent seront vos premiers ambassadeurs.
🏗 3. Un chantier, c’est du contrôle permanent.
Ce que ça veut dire :
Déléguer un chantier, c’est prendre le risque que quelqu’un d’autre décide pour vous.
- Il faut être sur place tous les jours pour prendre les décisions critiques en temps réel afin de ne pas perdre de temps.
- Chaque détail compte : une clim mal calibrée ? Une salle invivable. Un vestiaire mal conçu ?
- Les ouvriers voient un chantier. Vous voyez votre business. Si vous ne posez pas les bonnes questions, personne ne le fera à votre place. Ils ne vont pas prendre d’initiative à votre place.