Septembre 2020. Deuxième confinement. Le silence régnait dans notre studio du 3 rue de Richelieu. La poussière commençait à s'accumuler sur les sacs de frappe. C'était le genre de silence qui coûte cher: 12 500€ de loyer mensuel pour une salle vide.
Deux Acteurs Solides Face à un Marché Bouleversé
Avant cette seconde fermeture, Punch cartonnait. Notre studio affichait complet avec plus de 90% de remplissage. Notre proposition était claire: 50% boxe, 50% bootcamp. Pas de machines compliquées, pas d'abonnements contraignants, juste une expérience immersive et efficace qui trouvait clairement son public.
Portés par ce succès commercial, nous avions commencé notre “roadshow” pour lever des fonds dès la réouverture de juin. Les chiffres parlaient d'eux-mêmes et attiraient les investisseurs: salle pleine, communauté engagée, marque en ascension. Pour ceux qui ne seraient pas rompu au jargon des startups, un “roadshow” c’est une série de rendez-vous pris dans le but de lever des fonds.
J'avais probablement présenté notre pitch une vingtaine de fois. Toujours la même histoire: "En France, nous avons 5 ans de retard sur le marché américain du fitness. Ce retard est notre opportunité - nous savons ce qui va arriver. Les boutiques studios vont se multiplier avec quelques grandes verticales : cycling, yoga, pilates, boxe, bootcamp, danse, etc. Mais ils resteront fragmentés. Notre vision: comme Paris est en retard de phase vs. NYC, il n’y a pas beaucoup de studio. Il y a donc matière à créer un groupe de référence où les clients navigueraient librement entre différentes expériences avec un seul compte."
Des hochements de tête approbateurs, des questions pertinentes, des discussions avancées. Début août, ce n'était plus une question d'intérêt mais de finalisation: nous avions sécurisé une levée de 500 000€ avec nos actionnaires historiques et quelques nouveaux entrants. Les documents étaient prêts, les versements programmés. Deux ou trois signatures, et nous aurions eu les moyens de lancer notre deuxième studio.
Et puis, ce dernier rendez-vous avec Eutopia. Une rencontre qui devait être une simple formalité, dans notre tour déjà pratiquement bouclé.
La Convergence de Deux Visions
Camille, co-fondatrice & partner chez Eutopia, a écouté mon pitch habituel puis m'a suggéré de rencontrer l'un des cofondateurs de Dynamo. Ils venaient de lever de l'argent auprès de fonds d’investissement justement pour réaliser cette vision d'écosystème multi-concept que je venais d'exposer.
Ce qui était frappant, c'est que dynamo et Punch convergeaient vers la même vision avec l’envie de toujours proposer la meilleure expérience possible à nos communautés respectives - sans la moindre friction. Deux acteurs avec des propositions complémentaires, qui avaient indépendamment identifié la même évolution du marché.
La rencontre s'est déroulée dans un café près de l’église Saint Augustin. Pas de PowerPoint, pas de tableaux Excel, pas de projections financières compliquées. Juste un échange autour de nos visions du futur de l'industrie et comment on voulait essayer de la façonner.
C'est souvent dans ces moments informels que les décisions les plus importantes se prennent. Nos tasses de café refroidissaient pendant que nous discutions de la fragmentation du marché parisien, des habitudes changeantes des consommateurs, de l'évolution des attentes. Nous partagions le même constat: les clients ne voulaient plus simplement "aller à la salle", ils cherchaient des expériences singulières, des moments pour eux, des communautés auxquelles appartenir. Il y a de moins en moins de lieux pour se retrouver, pour rencontrer des gens. Les studios jouent ce rôle.
Au bout d'une heure, on savait qu'il y avait quelque chose à faire ensemble. Leurs studios d'indoor cycling. Notre concept boxe/bootcamp. Leur structure établie. Notre énergie de startup. Leur communauté déjà bien établie. Notre agilité. Deux entreprises qui réussissaient sur leurs segments respectifs, avec la possibilité de créer quelque chose de plus grand en unissant leurs forces. En fusion acquisition, pour expliquer facilement ce qu’est une une synergie on dit que 1+1 = 3. C’est à dire que la somme des deux partis réunies est supérieure à leurs valeurs séparées.
La raison pour laquelle on voulait s’associer à eux? Pour gagner 2-3 ans. On atteindrait immédiatement une taille critique. On bénéficierait des ressources de leurs siège, de leurs partenaires bancaires. On pourrait partager nos bonnes pratiques respectives. Bref, un raccourci stratégique par rapport à notre développement organique prévu.
dynamo a envoyé leur lettre d'intérêt. Et là, le premier dilemme stratégique: cette LOI incluait une clause d'exclusivité. En la signant, nous nous engagions à mettre immédiatement en pause toutes les discussions avec nos autres investisseurs - qui étaient déjà très avancées. C'était soit une alliance avec dynamo, soit notre levée quasiment bouclée avec nos actionnaires historiques. Deux chemins différents vers le succès, mais mutuellement exclusifs.
On a jeté le dé - nous avons opté pour avancer avec dynamo - sans garantie de pouvoir obtenir un accord car il y avait tant de choses sur lesquelles nous mettre d’accord. Ce qui nous a véritablement décidés? Nous gagnions du temps pour atteindre une taille critique, l’objectif était maintenant plus ambitieux donc plus excitant et surtout nous étions joueurs.
L'Accélération d'une Stratégie
Septembre 2020. Nouvelle fermeture à cause du confinement. Pour Punch comme pour dynamo, cela signifiait une pause forcée dans l'activité économique, mais pas dans la réflexion stratégique.
Cette fermeture a modifié notre approche des négociations avec Dynamo. Ce qui était initialement une opportunité de croissance accélérée prenait désormais une dimension supplémentaire: la consolidation pendant une période d'incertitude permettrait de mieux rebondir à la réouverture.
Le choix d'avoir mis de côté notre tour de financement quasiment bouclé comportait des risques. Si les négociations avec dynamo échouaient, relancer notre levée initiale prendrait du temps. C'était un pari, mais un pari calculé.
La question fondamentale demeurait : comment créer cette alliance tout en préservant l’essence de Punch ? Comment garder le contrôle de notre création tout en s’intégrant dans une structure plus large ?
Car au fond, Punch n'était pas juste un concept ou un studio de boxe : c'était une énergie, une manière de faire du sport différente, presque une culture que nous avions patiemment construite.
Il était hors de question de sacrifier ce qui faisait notre singularité sur l'autel de la croissance. Mais nous savions aussi qu'intégrer une structure plus grande impliquait des ajustements : process, reporting, prises de décision partagées... Autant d'éléments qui pouvaient, s'ils étaient mal gérés, diluer l'âme de Punch.
Ce dilemme nous a obligés à poser des questions franches dès le début des négociations :
Avons-nous la garantie de préserver notre autonomie créative ?
Pouvons-nous continuer à faire évoluer notre concept à notre rythme, sans devoir valider chaque innovation ?
Est-ce que cette alliance va nous renforcer, ou nous diluer?
Nous étions prêts à faire des compromis sur les outils, sur les méthodes, sur l’organisation — mais jamais sur l’expérience client, ni sur la manière dont nous inspirions notre communauté. C’était non négociable.
Et c’est en restant fermes sur ces points que nous avons pu construire un accord qui n’était pas une absorption, mais une véritable alliance.
Les négociations se sont intensifiées. Des journées à discuter, des soirées à relire des documents juridiques dont la complexité reflétait l'enjeu. Chaque clause semblait une bataille, chaque mot un compromis potentiel. Il fallait discuter de valorisations, de tag along, de drag along, d’irrévocabilité, d’exclusivité, etc. Autant de points qu’il fallait trancher.
Mars 2021. L'accord prenait forme, mais les derniers points restaient les plus épineux. Je me souviens d'une session particulièrement tendue où tout a failli s'effondrer sur un désaccord apparemment mineur. Dans ces moments, on réalise que les alliances échouent rarement sur les grands principes, mais sur l'accumulation de petites frictions.
Une Transformation Stratégique
En avril 2021, nous avons signé. Non pas une simple levée de fonds, mais une véritable alliance stratégique qui redéfinissait notre trajectoire.
L'annonce à l'équipe s'est faite naturellement. Je leur ai présenté ce rapprochement comme une opportunité d'accélération, un moyen de démultiplier notre impact sur le marché. Avec le recul, je doute qu'ils aient pleinement saisi l'ampleur du changement stratégique. Ce n'est que des années plus tard que l'impact de cette décision est devenu évident pour tous.
Dès l'accord signé, l'action a remplacé la théorie. Premier impératif: harmoniser nos systèmes comptables. Comprendre précisément comment chaque concept performait. Puis accélérer le développement de nouveaux studios Punch avec une efficacité décuplée.
Le plus fascinant a été l'échange de bonnes pratiques. Comment dynamo organisait ses onboarding, comment nous animions notre communauté? Chaque processus a été disséqué, comparé, optimisé. Notre expérience client s'est enrichie: communications plus ciblées, meilleur suivi, équipes mieux formées, etc.
La réouverture post-confinement a validé notre stratégie. Les clients percevaient une offre plus riche, plus cohérente, sans perdre l'identité distincte de chaque concept. Nous n'étions plus seulement un studio - nous devenions progressivement un groupe consolidé qui proposera a terme une expérience client sans pareil.
L'Entrepreneuriat Comme Art de la Vision Stratégique
Cette fusion n'était pas une réponse à une difficulté, mais une accélération stratégique, une manière d'anticiper l'évolution du marché.
Dans un monde idéal, peut-être aurions-nous préféré grandir seuls, avec les investisseurs qui nous avaient déjà fait confiance et qui étaient prêts à remettre au pot. C'était une voie viable et solide. Mais nous avions préféré choisir le chemin non pas le plus sûr, mais celui avec le plus grand potentiel transformatif. Celui qui véritablement bouleversera le marché.
La crise a accéléré une évolution qui aurait probablement pris des années à se dessiner. Dans cette période d'incertitude généralisée, nous avons choisi de transformer le paysage plutôt que simplement de nous y adapter.
Lever des fonds n'est jamais une fin en soi. C'est toujours un commencement. Une responsabilité. Un engagement. À partir de ce moment, nous étions comptables non seulement de notre propre vision, mais aussi de la confiance placée en nous par nos nouveaux partenaires.
Le test ultime d'une décision entrepreneuriale n'est pas dans son élégance théorique, mais dans sa validation par le marché. Et le marché nous a donné raison. Cette alliance, qui représentait un tournant stratégique majeur, apparaît aujourd'hui comme une étape logique dans notre parcours. Une preuve que parfois, la vraie audace consiste à s'écarter du plan initial pour saisir une opportunité de transformation plus profonde.
Ce que j’ai appris :
📊 Lever des fonds n’est pas une victoire. C’est une responsabilité.
Signer un deal, c’est grisant. Mais c’est juste le début.
Chaque euro levé est une promesse que tu dois tenir.
Tu ne joues plus pour toi. Tu construis pour mériter la confiance de tes actionnaires.
⏳ L’argent achète du temps. Pas des solutions.
La levée t’apporte un peu d’oxygène. Pas une sortie de secours.
Tu dois continuer à exécuter, affiner, aligner — même sous pression.
Ce qui compte, c’est ce que tu fais avec ce temps et cet argent, pas le montant levé.
🧭 Une bonne alliance
Une fusion qui fonctionne ne t’écrase pas : elle t’amplifie.
La plupart des fusions échouent à cause de sujets culturels. Il faut donc être alignés pour ce ce soit un succès.
Il faut donc chercher l’alignement, plutôt qu’un compromis bancal.